Un Monde Parfait 1.1

Roman futuriste GRATUIT : « Un Monde Parfait », Tome 1, Chapitre 1, qui raconte l’histoire grandiose de l’héroïne Melia Joconde.

Toute ressemblance avec des personnes ou des événements réels est fortuite.

Tous droits réservés @Sylvia Ribeyro

Attention : Ce roman s’adresse à des personnes de 14 ans et plus et comporte des passages qui pourraient déplaire.

1.1. Enfer et paradis

Il fait horriblement noir. Les pleurs d’un nouveau-né déchirent la nuit de cris aigus et persistants. Une grande ombre se faufile subitement dans l’embrasure de la porte entre-ouverte d’une chambre d’enfant peinte en rose pâle avec des bandes de tapisserie aux motifs d’anges et de bonnes fées qui entourent le haut des murs.

Dis-moi… qui es-tu?

C’est le diable en personne qui entre dans la pièce. En cette seconde, il ressent une colère destructrice qui pourrait anéantir tout l’Univers. Il saisit brusquement le bébé qui pleure et secoue violemment la fillette, sans aucune pitié.

Elle en a le souffle coupé. Brusquement, plus un son ne sort de sa bouche. Ses os et tous ses organes encaissent durement le choc. Les vertèbres de son cou et la rétine de ses yeux se fracassent. Son cerveau percute son crâne comme un ballon d’eau lancé sur un mur. L’agression est comparable à un verre de Crystal projeté volontairement sur le sol où même le plus idiot des idiots serait conscient qu’il se brisera en mille miettes.

Le bébé a besoin d’un médecin de toute urgence. Mais le monstre diabolique, cent fois supérieur en poids et en force, la redépose au fond du berceau, bien satisfait de ce silence de mort. Il retourne tout de suite dormir afin d’être tout frais et dispos pour ses nombreux projets qui l’attendent le demain matin.

Elle reste là, meurtrie et seule au monde.

Est-ce que ce petit corps fragile parviendra à survivre sans trop de séquelles graves à cette froide nuit de novembre 1966? Dehors, de gros flocons de neige tombent au ralenti, comme si chacun d’eux descendait avec un parachute ouvert pour ne pas faire de bruit, par crainte de réveiller encore le diable.  

Tic… tac… tic… tac… tic… tac… Le temps lui-même a compris que l’heure est grave. Malheureusement à cette époque Pré-Humaine, un bébé de plus ou de moins sur la Terre, cela ne préoccupe presque personne. Un pour tous, tous pour un, ce n’est encore qu’une belle devise pour des héros imaginaires.

Même si la science est parvenue depuis des années à expliquer aux Pré-Humains comment se font les bébés, peu d’entre eux planifient les naissances. La grosse majorité des enfants de la Terre sont de « mauvaises surprises » et plusieurs d’entre eux se retrouvent livrés à eux-mêmes dès leur premier souffle. La sexualité est à la fois un tabou que l’on tente de démystifier et paradoxalement, l’ultime divertissement exploité jusqu’à l’horreur.   

Malgré tout, le soleil se lève lentement sur une planète qui lui tourne autour depuis des millénaires. La neige continue de tomber sur le toit pointu et les larges tablettes en granit bleuté des petites lucarnes de cette jolie maison canadienne du Québec. De l’extérieur, la beauté de cette demeure où se dresse une énorme cheminée centrale n’inspire pourtant que de bons sentiments de sécurité, comparables à une merveilleuse carte de Noël.

En ce début de journée, rien ne pourra jamais expliquer comment et pourquoi la petite fille a survécu à cette tentative de meurtre dégoûtante. À des années lumières de là, ou bien tout juste en elle dans ses pensées les plus secrètes, existe-t-il « quelque chose » pour la libérer de cet enfer? Qui viendra à son secours? Car ce diable parmi tant d’autres sur cette fragile planète bleue, c’est son propre géniteur, un « père » qui ne mérite aucunement ce titre.

Melia dort bien plus longtemps qu’à l’habitude ce matin-là. Sa mère qui se prénomme Eve, s’inquiète et surveille de près son bébé anormalement paresseux. Eve souffre d’un syndrome post-partum suite à l’accouchement. La nuit dernière, elle s’est résignée à prendre les pilules prescrites par son médecin qui lui a aussi conseillé de laisser la garde de son poupon à son mari pour quelques nuits. Sauf que ce médecin ignore qu’elle ne peut quasiment jamais compter sur Trebor et qu’elle est livrée à elle-même sur une île cauchemardesque.

Enfin, Melia fini par ouvrir les yeux. Alors Eve prend Melia dans ses bras pour sa toilette matinale. En déshabillant son bébé, Eve s’exclame de dégoût en découvrant la peau de Melia qui est dans un sale état… sa couche n’ayant pas été changée de la nuit! Ah! Cela ne se serait jamais produit sous sa garde! Elle se jure que le repos que lui a ordonné le médecin se termine ici, maintenant.

Eve a de longs cheveux noirs et des yeux jaune dorés bordés de longs cils ébène, avec un regard rempli d’intelligence et de sensibilité. Sa peau est légèrement cuivrée comme certains de ses ancêtres amérindiens. Elle est toute petite, mesurant à peine 5 pieds 1 pouces, mais elle est d’une rare beauté et il se dégage d’elle un grand calme et une force intérieure de Titan.

Comme si cette situation choquante n’était pas assez stressante, tout à coup, des bottes en cap d’acier percutent la porte d’entrée en chêne de la maison en émettant un bruit assourdissant et épouvantable. Bang… bang… bang… bang…

Eve accourt pour débarrer cette fichue porte car elle sait très bien qui s’enrage à la défoncer. Trebor refuse de se faire des clés et la sermonne de ne plus barrer la porte, en prétextant que Dieu veille sur eux et que c’est un manque de confiance en Dieu de barrer des portes… Trebor excelle dans les délires religieux pour assouvir son besoin de domination absolue, surtout quand le gros bon sens lui fait lamentablement défaut, comme dans la présente situation où il est tout simplement trop paresseux pour se munir d’une clé. C’est bien plus jouissif de frapper la porte avec ses grosses bottes de travail et de voir Eve accourir le ventre à terre et le teint livide. Après tout, Eve, ce n’est que SA femme, SA servante, SON objet.

Trebor est né en Europe d’une famille plutôt riche et puissante. Il exploite ce simple hasard pour se sentir supérieur à tous ces pauvres canadiens qui à son avis, ne connaîtront jamais un pays aussi extraordinaire que la France, notamment par son passé féodal historique, où les châteaux majestueux de pierres et les cathédrales mirobolantes se dressent presqu’à chaque coin de rue. Il se demande bien pourquoi ses parents ont décidé d’immigrer dans ce pays de « colons », peu après la seconde guerre mondiale. Il ne s’habituera jamais à la prononciation maladroite de la langue française par tous ces québécois de souche, quoique paradoxalement, il soit immédiatement tombé amoureux de la tonne de jurons très crus qu’il s’est d’ailleurs rapidement approprié.

Il ignore qu’Eve ne lui obéit pas lorsqu’il est absent de la maison. Mais comme elle a vraiment peur de lui, elle guette toujours l’heure pour se soumettre en apparence à l’autorité de Trebor. Aujourd’hui, il revient bien trop tôt de son travail… Pourquoi? Eve attrape précipitamment Melia qui n’est pas encore habillée pour la recoucher nue dans son berceau et court à toutes jambes vers la porte d’entrée en espérant ne pas devoir la repeindre pour une cinquième fois cette année. Ses yeux et son visage expriment une peur morbide, comme si une tornade était sur le point de souffler tous les murs de la maison.

Trebor déboule dans la pièce en criant qu’il n’a pas pu dormir de la nuit, que les pleurs du bébé étaient insupportables et… dia-bo-liques!  Il gueule en blasphémant que c’est sûrement parce que le médecin a prescrit une mauvaise préparation de lait et qu’il faut dorénavant donner à Melia du bon lait de vache directement de la pinte. C’est ce qu’il a fait la nuit dernière, annonce-t-il, du haut de ses 6 pieds et 230 livres, avec plus de fierté qu’un jeune coq.

Une grosse dispute éclate car Eve est abasourdie par cette nouvelle théorie complètement ridicule. Des cris par ci, des insultes par-là, le diable et sa sainte martyre de femme s’entre déchirent pour la millionième fois. C’est le chaos total. Tenter de discuter avec Trebor, c’est pire que d’essayer de parler à un mur, car au moins un mur ne nous répond pas des stupidités ou pire, il ne s’élance pas sur nous physiquement pour nous frapper lorsqu’on le contredit.

Mais Eve est extrêmement plus futée que son diable de mari. Elle clos la discussion en ne parlant plus et en feignant de dire comme lui, alors il quitte les lieux satisfait en croyant avoir gagné une autre de ses guerres journalière. Eve accourt s’occuper de son bébé qui grelotte de froid.

À l’approche d’Eve, Melia sursaute et se met à pousser des cris épouvantables, comme apeurée par l’arrivée de sa propre mère, à un point tel qu’Eve en a le souffle coupé. Eve se prend une voix très douce pour lui parler tendrement, mais rien à y faire, Melia ouvre de grands yeux exorbités par la peur et continue d’hurler. Sa petit fille est-elle devenue soudainement aveugle et sourde? Comment cela aurait-il pu se produire? Eve la prend dans ses bras et la berce pendant de longues minutes avant que la petite ne parvienne à se calmer.

Eve ne comprend pas pourquoi tout à coup le comportement de son bébé a changé ainsi en une seule nuit. Cela persiste pendant des mois et des mois interminables. Est-ce que son bébé lui en veut qu’elle ait osé prendre un moment de repos? Eve se culpabilise et se torture sans fin en cherchant des explications pendant que son diable de mari observe toute cette souffrance avec détachement et indifférence. Il est parvenu à tenter de tuer Melia en toute impunité tout en rejetant les conséquences suspectes vers des théories insipides. Son pouvoir est infini, le monde lui appartient, comme toujours.

Même dans ces années là, tout le monde sait déjà qu’un chiot battu en gardera des séquelles dans son comportement… Donc ça ne prend pas un génie pour conclure qu’il en est de même pour les êtres humains dès leur naissance. Depuis l’agression, Melia a peur de quiconque s’approche d’elle. Hurler est son seul moyen de l’exprimer.

Le terrible secret de cette nuit de cruauté demeurera enfoui dans le néant pendant plusieurs longues années où la violence règne dans les moindres recoins de cette « famille » qui en réalité, n’en n’est est pas une. C’est plutôt une méga bombe qui risque d’exploser à tout moment.

Le faux amour est la pire arme de destruction massive de la Terre mais à cette époque archaïque, très peu d’individus en sont conscients.

Trebor adore répéter à qui mieux mieux qu’il adore sa femme et ses enfants. Il prend quelques photos par ci et par là de SA famille sur du beau papier glacé, des preuves toutes en couleur de SA réussite absolue. Il est pourtant impossible de ne pas remarquer que Melia a toujours les yeux exorbités, comme si sa vision avait été altérée par des hémorragies internes, ou bien parce qu’elle ressent une peur morbide du diable caché derrière l’appareil photo.

Mais par chance, et s’en est une immense, Trebor est rarement présent à la maison. Alors comme par magie lorsqu’il est absent, Eve et Melia peuvent enfin déployer leurs petites ailes à l’infini.

Tous les soirs lorsque la noirceur tombe, Eve s’installe dans la chaise berçante avec Melia sur ses genoux, les yeux fixés sur la fenêtre du salon afin d’admirer paisiblement la croix illuminée de l’église du village qui scintille à l’horizon. Le silence est tel que chacune perçoit le cœur de l’autre qui bat tout doucement. On n’entend que le léger cric crac réconfortant des mouvements du bois qui bascule. Eve et Melia se délectent de chaque seconde de ce moment précieux. Elles se jettent des regards paisibles avec un doux sourire à la Mona Lisa.

Dans la journée en l’absence de Trebor, ce n’est que farandoles et rires complices entre ces deux âmes sœurs. Melia suit Eve sur les talons dans toutes ses tâches ménagères et tente de l’imiter avec plus ou moins de succès. Eve déploie une patience illimitée, quoique Melia est très douce et sage, simplement assise par terre à s’amuser la plupart du temps avec un petit miroir ovale en plastique jaune soleil orné de grands papillons bleus. Melia se regarde attentivement en babillant avec beaucoup d’expressivité, comme s’il elle tentait de communiquer avec la petite fille qui s’y cache. Elle la trouve très jolie… de longs cheveux bruns bouclés, des cils noirs très longs comme sa maman, mais des yeux verts émeraude avec une très grande paupière qui donnent à son visage une beauté rarissime. Elle se fait un sourire charmant qui la réconforte instantanément.

Melia affectionne ses peluches. Elle les enlace et les bisoute sans se lasser et les range avec grande attention pour ne jamais en perdre une. Elle aime leur murmurer à l’oreille de longues phrases dans son langage de bébé qui ne fait pourtant aucun sens. Un sentiment de plénitude l’enveloppe, comme si tout était possible, que rien ne pouvait leur faire du mal ni les détruire.

Quelques mois après la naissance de Melia, Trebor impose des relations sexuelles forcées à Eve en lui tenant les mains de force. Des moments d’horreur si violents et souffrants qu’elle doit subir des soins hospitaliers et des curetages. Pourtant, elle ne se confie à personne, car un mari qui viole sa femme, c’est légal à cette époque. La loi ne changera au Canada qu’en 1983 après des années de combat acharné mené par des femmes et des hommes de plus en plus conscients de leur valeur réciproque.

Eve angoisse constamment sur le fait de remettre un autre enfant dans ce monde cruel et injuste. Eve ne comprend pas le sens de son existence et si c’était à refaire, jamais elle n’aurait eu d’enfant. Il faut dire qu’Eve est née dans une famille malsaine où les femmes ne valent rien. Lorsqu’elle n’avait que neuf ans, sur la ferme agricole familiale, son propre père lui a planté une fourche à trois dents dans le bas du dos alors qu’elle riait tout simplement avec son jeune frère en jouant dans du foin fraichement coupé. Elle en garde des cicatrices bien visibles sur sa peau, sans oublier les agressions sexuelles de son « père » avec des menaces pour qu’elle n’en parle jamais à personne.  

Melia fête ses quatre ans devant un énorme gâteau au chocolat orné d’un délicieux glaçage à la crème, de jolies bougies en forme d’animaux, des cerises rouges et des pépites sucrées. Eve est une cuisinière hors pair. D’ailleurs, elle excelle dans tout ce qu’elle touche. Sa maison pourrait assurément gagner le premier prix de la parfaite femme au foyer. Pourtant, bien trop souvent, elle ne se sent bonne à rien.

Melia peut quitter son lit de bébé sur lequel elle appuyait son dos sur les barreaux pour parvenir à s’endormir à la nuit tombée. Eve a accepté les supplications de Melia de coller ce nouveau vrai petit lit tout contre le mur afin qu’elle puisse s’y blottir comme elle le souhaite. Il y a une grande fenêtre carrée dans cette chambre avec des rideaux aux motifs d’oiseaux de toutes les couleurs. Le soir venu, lorsque Trebor se couche, tout devient si silencieux dans la maison que cela semble inhabituel et inquiétant en comparaison aux cris hystériques qu’il émet fréquemment lorsqu’il est présent. Toutes les nuits, Melia garde les yeux ouverts et combat son sommeil, comme aux aguets, jusqu’au point de voir apparaître des points lumineux qui tournoient dans tous les sens. Elle est pétrifiée. Un mal de ventre infernal devient si insupportable qu’elle ne pense plus qu’à une chose : courir retrouver Eve pour qu’elle lui sauve la vie.

Melia repousse maladroitement toutes ses peluches qu’Eve a installé devant elle par ordre décroissant, du plus gros au plus petit, comme un bouclier devant elle pour la réconforter. Mais le cœur de Melia bat tellement vite qu’il pourrait s’envoler comme une fusée. Ses petits pieds s’élancent le plus rapidement qu’ils le peuvent pour rejoindre les bras d’Eve. Le couloir n’en finit plus… elle doit franchir la porte de la chambre de sa mère dans l’obscurité totale et elle se met à crier « maman » à tue-tête en tâtonnant le grand lit…

Bang… bang… bang… bang…

Une avalanche de coups percute son petit corps et sa tête au point de lui faire perdre l’équilibre. Ses idées s’embrouillent comme un boxeur sur le point d’être chaos.

Trebor dormait sur le côté du lit face à la porte. Sa fille hystérique vient abruptement de le réveiller, encore une fois de trop. Il est enragé.

Melia se débat dans la noirceur comme un ver à chou mais on perçoit qu’elle essaie encore de crier « maman » malgré sa respiration saccadée. Eve se lève d’un bond en hurlant de tous ses poumons pour tenter de sortir sa fille des griffes du diable : « Arrête! Maudit fou! »

Eve ouvre la lumière. Trebor est encore couché dans le lit mais il gueule comme si on venait de lui arracher les deux yeux, alors que c’est pourtant Melia qui subit ce que même les soldats adultes qui choisissent de partir courageusement à la guerre, n’aimeraient jamais encaisser sans armes ni forces minimales pour se défendre contre un individu bien plus colossal qu’eux.

Eve prend rapidement Melia dans ses bras et sort de la chambre en refermant rapidement la lumière car Trebor jette à Melia des regards dévastateurs. Mais il continue d’hurler en accusant sa fillette de tous les maux de la Terre. Il répète inlassablement à tue-tête : « Hostie de folle! Hostie de folle! Hostie de folle! ».

Melia, muette et tremblante, accroche désespérément ses petits doigts au col de la robe de nuit d’Eve. Sa maman la recouche dans son lit et replace tous ses oursons devant elle et lui murmure sur un ton grave et inquiet : « Tu dois faire dodo. Fais dodo ma poupée. Tu dois faire dodo maintenant. »  Personne n’a le temps de lui demander si elle va bien car Eve doit de toute urgence parvenir à calmer la colère de Trebor. Melia ressent une culpabilité indescriptible, un mélange d’effroi et de sentiment d’échec total. Un désespoir sans fin.   

Melia garde les yeux grands ouverts, meurtrie dans son corps et son esprit, osant à peine respirer, le regard béat, le dos collé sur le mur sans bouger un cil. Elle fait pipi dans son lit. La chaleur du liquide se répand jusque sous ses cuisses, puis se refroidit un peu plus à chaque « coucou » de l’horloge à pendule.  Elle finit par tomber de fatigue aux petites heures du matin.

La matinée commence très mal pour Eve, avec des draps encore souillés par Melia et la préparation du petit déjeuner de Trebor qui n’en finit plus de radoter les faits de la nuit dernière avec une voix toute puissante de dictateur devant une immense foule, en omettant volontairement tout ce qui concerne son propre comportement à lui bien sûr. « Calice de saint-crème » est son blasphème préféré, accompagné d’un bon coup de poing sur la table qui fait vaciller les assiettes et la coutellerie. L’eau des verres fait des montagnes russes. Heureusement, Trebor quitte rapidement la maison pour se rendre à son usine, habillé de sa salopette bleu foncé et chaussé de ses bottes en épais cuir beige renforcées d’un cap d’acier qui martèlent bruyamment le sol.

Comment survivre à ce cycle de tortures?

Melia aimerait beaucoup jouer avec Finette, la belle petite chienne Papillon qu’Eve a secouru peu de temps avant sa naissance. Mais les directives sont claires; Finette est vieille et grincheuse… alors Melia ne doit pas lui toucher. Pourtant, la petite est attirée comme un aimant par les grondements de Finette, ses superbes oreilles touffues ainsi que ses petits yeux craintifs bordés de poils noirs, roux et blancs. C’est certain, Eve et Melia ressentent un amour inconditionnel pour tous les animaux.

Un jour, Melia oublie les interdictions et s’approche petit à petit de Finette, suffisamment pour parvenir à la flatter tout doucement. Finette remue joyeusement la queue et ses oreilles… le cœur de Melia s’emballe… et elle dépose un tendre baiser sur son beau petit museau…

Pourquoi fallait-il que Trebor soit présent à ce moment précis? Voyant la scène, il lance un gigantesque juron à tue-tête en frappant le sol de ses pieds. Finette réagit en s’élançant pour prendre une petite croque sur la bouche de Melia… Alors il bondit comme un fou sur Finette et lui assène un gigantesque coup de poing sur la tête, assez pour que Melia entende le crâne de Finette craquer en heurtant durement le plancher. Finette ne réagit plus et du sang coule du coin  de ses deux yeux… Eve et Melia sont en larmes… mais elles doivent supporter pendant encore au moins deux jours entiers la colère insatiable de Trebor.

Finette repose maintenant sous la terre dans le jardin et Melia porte tout le poids de ce drame -en quatre dimensions car il faut ajouter tout ce qui ne se voit pas avec les yeux- sur ses minuscules épaules. Maintenant, lorsqu’Eve lui interdit quelque chose, Melia ouvre de grands yeux apeurés et lui obéit sur le champ. Lorsque Trebor est présent, elle n’ose même plus respirer ni parler. Son ventre tremble aussitôt qu’il entre dans la maison. Surtout, elle ne doit jamais rire de quoique ce soit, car sinon les grosses mains de Trebor s’aplatissent avec fracas sur sa tête.

Et cela, ne pas rire, ça demande parfois la plus grande des virtuosités! Aux repas, lorsqu’il y a de la soupe remplis de tous les bons légumes cultivés par Eve dans son immense potager, Trebor émet une succession de bruits tous plus surprenants les uns que les autres… « ssssllllluuuuuuuurrrrrrrrppppp…. » Melia ne doit pas regarder Eve qui elle aussi s’efforce de réprimer très difficilement un fou rire bien légitime. Elles attendent toutes deux que l’ogre quitte les lieux et alors là, elles éclatent en riant aux larmes, tout en s’amusant à reproduire bêtement tous ces bruits désopilants.

Sans compter que plusieurs des comportements excessifs et insensés de Trebor valent à ce dernier des actions souvent très maladroites… comme de se fracasser maladroitement les orteils sur les pattes de meubles… ou de s’étendre de tout son long en glissant sur le verglas en hiver, pour ne nommer que ceux-ci. Eve et Melia ont appris à ne pas broncher et à se pétrifier en parfaits petits robots… qui ne peuvent redevenir de chair et d’os que lorsqu’elles sont seules toutes les deux. Alors là, c’est la joie des mimes et des clowns qui imitent Trebor! Elles pourraient assurément toutes deux gagner le premier prix de la statue-qui-feint-que-tout-va-bien-en-publique… et à la fois du laisser-aller-secret-et-sans-limites-lorsque-la-porte-est-bien-barrée.

Pour Melia, il existe un autre monde parallèle à celui-ci. Cette petite fille au corps fragile est dotée d’un esprit exceptionnel qui lui permet de naviguer au besoin dans son imagination, qui n’a aucune limite en termes de possibilités. Cet espace surréel est infini. Personne ne peut le lui voler. Melia l’a découvert pour la première fois dans ses cours de danse, un précieux cadeau aux milles et unes facettes qu’Eve lui a offert dès ses 4 ans. Là, sur ce plancher plutôt malpropre et grisâtre de la salle communautaire du village, deux petits chaussons roses sur des collants blancs se démènent bien au-delà du rythme de la musique. En une fraction de seconde, Melia est au paradis. Son corps peut enfin bouger, virevolter… et flotter sur des vagues de plaisir et d’émotions profondes.

Lorsqu’elle danse, les étoiles qui brillent dans les yeux de Melia lui apportent rapidement des éloges de son enseignante et des spectateurs. C’est un apprentissage unique pour Melia, qui comprend que tout ce qu’elle ressent à l’intérieur d’elle-même peut être ressenti et apprécié par de purs étrangers. C’est un moyen de communication divin qui n’a pas besoin de mots ni d’efforts. Melia le transpose dans tout ce qu’elle touche, surtout lorsque sa réalité n’est que souffrance. Pouf! En moins d’une micro seconde, Melia se réfugie dans son esprit et s’y construit une planète indestructible, remplie par des êtres bons, généreux et toujours compréhensifs.    

Rien n’a d’égal que ce sentiment de compréhension absolue où Melia ne fait plus qu’un avec toutes les bonnes réalités de l’univers qui l’entourent. Pas plus haute que trois pommes, elle perçoit déjà qu’elle accomplira de grandes choses en ce monde. Elle dessine et façonne dans sa petite tête d’enfant de merveilleux espoirs… dont celui de parvenir un beau jour à consoler et sauver  tous les êtres les plus faibles et sans défense, ainsi que de stopper en un éclair tous les monstres qui osent s’attaquer impunément à eux. À vrai dire, cela ressemble à quelque chose qu’aucun Pré-Humain n’a encore jamais eu l’audace de rêver en croyant avec certitude le voir se réaliser… c’est-à-dire… Un Monde Parfait.

Auteure : Sylvia Ribeyro

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